Pourquoi dit-on chocolatine à Toulouse (et pourquoi c’est plus beau comme ça 😉) ?

À Toulouse, on ne dit pas «pain au chocolat». On dit «chocolatine».  Quelques téméraires s’y essayent à l’occasion récoltant railleries, quolibets, ires ou rires. Car dans la ville rose,  on s’amuse avec gourmandise de cette spécificité  Et si cette différence peut prêter à sourire, elle raconte en réalité bien plus qu’une querelle de vocabulaire. Elle dit quelque chose sur identité locale, la langue et la culture.

Pour les visiteurs de passage, ce mot peut surprendre tant il s’affiche comme étendard et sa non utilisation disqualifiante est tout autant surprenante. Pour les habitants du Sud-Ouest, il  s’affirme pourtant comme une évidence. Dans les boulangeries, les cantines, salons de thés ou les petits-déjeuners d’hôtel, on commande une chocolatine sans y penser. Et ce terme, souvent considéré comme régionalisme, est devenu au fil du temps un marqueur culturel à part entière.

Mais d’où vient ce mot que toute une région défend bec et ongles? Pourquoi a-t-il résisté là où tant d’autres termes régionaux ont disparu? Et comment une simple viennoiserie a-t-elle glissé, presque discrètement, du four du boulanger aux débats nationaux? Pour le comprendre, il faut remonter le fil. Écarter les légendes, suivre les pistes – historiques, linguistiques, culturelles – et accepter qu’un mot puisse parfois dire bien plus qu’il ne montre.

La viennoiserie voyageuse

On l’appelle viennoiserie, et ce n’est pas un hasard. Car c’est bien de Vienne, capitale autrichienne, que viennent ces pâtisseries feuilletées qui garnissent nos petits-déjeuners. Leur nom porte la trace de leur origine, tout comme leur recette. Et parmi elles, la chocolatine — ou le pain au chocolat, selon l’endroit où l’on se trouve — est devenue un objet de discorde aussi léger que savoureux.

À Toulouse, pourtant, la question ne se pose pas. Ici, c’est chocolatine. Un mot qui s’impose avec naturel dans les vitrines, les boulangeries de quartier, les conversations. Mais dès que l’on franchit les limites du Sud-Ouest, l’évidence se brouille. “Pain au chocolat” prend le dessus, et le mot chocolatine devient, selon les points de vue, un régionalisme attendrissant, une curiosité, voire une anomalie.

Ce n’est pas qu’une différence de vocabulaire. Il y a quelque chose de plus profond, de plus enraciné. Une résistance, peut-être. Une fidélité. Mais pour comprendre d’où vient ce mot, il faut commencer par déconstruire quelques idées reçues.

Non, ce n’est probablement pas un anglicisme venu de l’expression “chocolate in”, popularisé par des soldats britanniques. Cette théorie, souvent répétée, ne repose sur aucun fait historique sérieux. Elle séduit parce qu’elle est facile à retenir, mais elle n’explique rien.

L’origine de la chocolatine est plus ancienne, plus complexe, et surtout… plus continentale. L’enquête mène alors à Paris, au XIX siècle. En 1839, un certain August Zang, ancien officier autrichien, ouvre la Boulangerie Viennoise dans le IX arrondissement.

De l’Autriche à Toulouse : le mot venu d’ailleurs

C’est donc au cœur du Paris du XIX siècle, en pleine mutation industrielle, que les viennoiseries (le terme dérive directement de la boulangerie viennoise de Monsieur Zang) trouvent leur place sur les étals des boulangeries françaises.

Le terme “viennoiserie” s’impose alors pour désigner ces produits venus de l’Est — et parmi eux, les premiers pains fourrés au chocolat. Mais à cette époque, pas encore de “chocolatine” à l’horizon. Pas à Paris, du moins.

C’est en scrutant les zones d’influence de l’époque que l’on voit apparaître une autre hypothèse pertinente : celle d’un mot dérivé de l’allemand “Schokoladenbrot” — littéralement, pain au chocolat. Le mot aurait voyagé avec les recettes, avant d’être adopté et transformé localement.

Ainsi, sans lien démontré avec une langue étrangère, le mot chocolatine pourrait n’être ni importé ni hérité, mais simplement né ici, dans une boulangerie du Sud-Ouest, adopté parce qu’il sonnait bien, parce qu’il disait quelque chose de familier. Et parce qu’il est resté.

De l’occitan aux comptoirs : comment un mot devient un territoire

L’usage du mot “chocolatine” est attesté dans le Sud-Ouest de la France dès la seconde moitié du XX siècle, notamment dans des publications scolaires et dans le langage courant en milieu rural et urbain. On le retrouve dans des manuels régionaux, des enquêtes de terrain linguistique, ainsi que dans les relevés de l’Atlas Linguistique de la France (ALF) qui documentent la diversité des parlers selon les zones géographiques. Il figure aussi dans le Trésor de la langue française informatisé (TLFi) avec mention de son usage régional.

Le maintien du mot dans cette région peut s’expliquer par deux facteurs combinés :

  1. Une tradition de bilinguisme historique avec l’occitan, où le lexique courant a conservé de nombreuses particularités distinctes du français standard. Même si “chocolatine” n’a pas de racine occitane directe, la région a historiquement montré une forte capacité à conserver des variantes lexicales face à la standardisation du français.
  2. Un ancrage sociolinguistique lié à la transmission orale : le mot s’est imposé par l’usage, dans un contexte où le langage du quotidien — à l’école, à la maison, à la boulangerie — privilégiait la forme régionale. À la différence du “pain au chocolat” promu par les normes parisiennes ou scolaires, “chocolatine” est resté vivant dans les habitudes locales, sans avoir besoin d’être justifié.

Aujourd’hui encore, les cartes d’usage lexical montrent une claire démarcation géographique : le mot “chocolatine” est principalement utilisé dans les anciennes régions Aquitaine, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon. Il est d’ailleurs devenu un objet d’étude pour les linguistes intéressés par la variation lexicale intra-française, notamment dans les travaux de l’équipe du laboratoire CLLE (Cognition, Langues, Langage, Ergonomie) de l’université de Toulouse Jean Jaurès.

Autrement dit, si le mot “chocolatine” n’a pas une origine étymologique occitane directe, son ancrage territorial et sa persistance sont bel et bien le résultat d’un contexte sociolinguistique régional spécifique, où les normes du français standard ne se sont pas imposées totalement dans l’usage courant. Alors, chocolatine serait il un terme dérivé de l’allemand ayant tracé son glorieux sillon dans les langues occitanes  s’imposant avec le temps ?

Peut-on vraiment dire que “chocolatine” vient de l’allemand ?

Tout cela n’est pas si simple et pourtant évident… L’idée selon laquelle chocolatine dériverait de Schokoladenbrot est séduisante, mais linguistiquement très fragile. Le mot allemand, long et complexe à prononcer ([ˈʃoːkoˌlaːdn̩ˌbʁoːt]), n’a aucun lien phonétique direct avec chocolatine. On ne retrouve dans aucune source linguistique connue de forme intermédiaire entre les deux.

À ce jour, aucun historien de la langue ne peut confirmer ce lien. Il n’existe ni trace écrite ni usage intermédiaire documenté.

La théorie la plus sérieuse est bien plus simple : chocolatine serait un néologisme français formé localement, probablement dans le Sud-Ouest au XX siècle, à partir du mot “chocolat” et du suffixe “-ine” (comme praline, mandarine, clementine). Cette construction, fréquente en français pour désigner des produits alimentaires ou des formes réduites, aurait trouvé un terrain fertile dans une région où la langue orale restait très vivace, notamment en contexte occitan. Tout simplement !

Un débat qui dépasse la boulangerie

Ce qui aurait pu rester une variation locale s’est transformé, au fil des années, en un sujet récurrent dans l’espace public français. Le mot “chocolatine” est devenu le symbole d’un attachement régional, au croisement de la langue, de l’histoire et de l’identité.

L’épisode le plus marquant date de 2017, quand des députés du Sud-Ouest, emmenés par Benoît Simian, ont proposé d’inscrire la chocolatine au patrimoine immatériel de la France. Si cette proposition n’avait pas de portée légale, elle a relancé un débat national, relayé par la presse et les réseaux sociaux, où se sont mêlés humour, chauvinisme et défense du pluralisme linguistique.

Derrière ce mot, il y a en réalité une double explication simple.

  • D’un côté, une histoire boulangère : la viennoiserie feuilletée au chocolat est née en France au XIX siècle, probablement inspirée par les traditions autrichiennes. Dans certaines régions, notamment le Sud-Ouest, elle a circulé sous le nom de “chocolatine”, probablement par influence de termes germaniques comme “Schokoladenbrot”, sans que le lien soit totalement attesté.
  • De l’autre, une logique d’usage régional : dans un contexte où le français cohabitait encore avec l’occitan, le mot “chocolatine” s’est ancré dans la langue parlée. Il a traversé les générations, les écoles, les boulangeries. Il est devenu un réflexe, une norme locale transmise par l’oral.

Ce qui rend ce débat si visible, c’est que l’objet est universel — tout le monde connaît cette viennoiserie — et que les deux mots coexistent dans la même langue, en concurrence directe. Là où d’autres régionalismes restent confinés à des objets ou des réalités locales, ici, la variation touche un aliment du quotidien partagé par tous.

Autrement dit : si l’on dit chocolatine à Toulouse, ce n’est ni un caprice, ni un folklore. C’est l’empreinte d’un usage ancré dans le temps, renforcé par une transmission collective. La défense de l’usage chocolatine prend aussi des atours rationnels. Demandez un pain chocolat à un toulousain, il vous tendra un bout de pain rempli de chocolat, mais vous ne trouverez nulle part de pâte feuilletée. La distinction fait donc sens pour les locaux.

Et chez Albert ? La chocolatine se savoure au petit matin

Ici, on ne fait pas exception. Le mot s’impose avec la même évidence que l’odeur du café chaud dans la salle du petit-déjeuner. Sur le buffet, à côté des croissants, des confitures locales et des fruits frais, les chocolatines occupent leur place sans tapage. Elles sont là, simplement, comme elles l’ont toujours été dans les matinées toulousaines ou pour rendre les séminaires Toulouse les plus sérieux, plus gourmands.

Et pour les clients venus d’ailleurs, c’est souvent l’un des premiers signes que l’on est bien dans le Sud-Ouest. Un mot entendu, affiché, assumé. Une viennoiserie familière, mais désignée autrement. Un détail qui raconte un peu Toulouse.

Chez Albert, on ne cherche pas à trancher la querelle. Car au fond, peu importe le nom que chacun lui donne. Ce qui compte, c’est ce qu’elle transmet : un attachement simple aux choses bien faites, une manière locale d’habiter les gestes du quotidien.

Et peut-être que, justement, c’est cela qu’on vient chercher à l’Albert Premier : la découverte d’une ville chargé d’histoires, pleine de nuances et de spécificités.

Bibliographie et sources

  • Trésor de la Langue Française informatisé (TLFi) – Entrée chocolatine https://www.cnrtl.fr/definition/chocolatine
  • Atlas linguistique de la France (ALF), Jules Gilliéron et Edmond Edmont, 1902-1910.
  • Le Robert – Entrée chocolatine, édition 2007.
  • Bigot, Carole (2018). Variétés régionales du français en France : représentations et attitudes linguistiques. Thèse de doctorat, Université de Toulouse Jean Jaurès.
  • Catach, Nina (1984). Orthographe et lexicographie. Paris : Presses Universitaires de France.
  • Le PointAu fait, d’où vient le mot chocolatine ?, mars 2025. https://www.lepoint.fr/eureka/au-fait-d-ou-vient-le-mot-chocolatine-09-03-2025-2584262_4706.php
  • France Inter – Chocolatine contre pain au chocolat : d’où vient vraiment la discorde ?, émission du 3 février 2017.
  • L’ObsPourquoi dit-on chocolatine dans le Sud-Ouest ?, dossier linguistique, 2019.
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